Nous n'avons guère pour habitude de parler de quelque chose qui n'a pas été édité. Nous ferons pourtant ici une exception avec Le Carnaval des ombres, court roman de Natalia Osoianu, publié en ligne sur son propre site en 2011 et qui s'est attiré quelques bonnes critiques. L'action de ce récit se passe dans un monde imaginaire, dans un pays qui s'appelle Tarra. Chaque personne de ce monde possède une ou plusieurs « ombres ». Ces dernières se distinguent par niveaux. Celles du premier niveau apparaissent seulement pour quelques minutes puis disparaissent, les ombres des niveaux suivants vivent un peu plus longtemps et seule la dernière ombre apparaît juste avant la mort de son maître et peut rester vivre à sa place, après sa mort, devenant un vrai homme, semblable à son maître.
Après une longue guerre entre gens, ombres et chaotides (des êtres mi homme mi animal) qui peuplent ce pays, les belligérants arrivent se réconcilier et organisent un Carnaval des ombres. Différents cirques du pays viennent dans la capitale pour ce Carnaval. Un ou une artiste pourra exécuter une danse. A la tête de tous ces cirques se trouvent une Corporation qui gère toutes les questions juridiques, administratives et autres. Les membres de ce Conseil sont des gens riches et connus dans le pays. Il existe une hiérarchie au sein des troupes de cirque. La troupe « Cirque des Pèlerins » appartient au grade inférieur. Son chef, Joseph Arlin, est un ancien lanceur de couteaux. On le considérait dans sa jeunesse comme un des meilleurs lanceurs, mais un jour, lors d'une exhibition, étant un peu ivre (ce qui ne lui arrivait jamais avant), il a raté son coup et tué une jeune fille. Arlin a fait de la prison et a monté plus tard son propre cirque. Lors du Carnaval, chaque cirque doit présenter sa propre exhibition. Le meilleur artiste reçoit une récompense impériale. Les artistes d'Arlin – acrobates et danseurs – répètent une danse sur une toile d'araignée. Tout à coup, Arlin voit une personne inconnue qui danse avec eux. Elle le fait avec un talent artistique inouï. Arlin est furieux et étonné à la fois. Cette fille est tellement maquillée qu'il est difficile de voir son visage, de plus elle ne dévoile pas son vrai nom et se présente comme Papillon. L'art de cette danseuse charme Arlin et les autres artistes, y compris Reïne, un acrobate. Papillon s'en va tout de suite après les répétitions et personne ne sait rien d'elle.
Ceux qui ont apprécié Porcelaine d'Estelle Faye (2013, Les Moutons électriques) n'auront aucun mal à se plonger dans ce court roman qu'est Le Carnaval des ombres (Карнавал теней), de Natalia Osoianu. Les deux textes partagent un certain goût pour une fantasy où l'on ne sauve pas le monde, mais soi-même. Il faut dire que l'une des principales influences de Natalia Osoianu est les époux Diatchenko. Comme eux, elle place son intrigue dans un univers riche, doté de traits souvent très originaux, tout en utilisant un style poétique mais fluide, qui rappelle un peu Alexandre Grine, lorsqu'il mêle aventures et belles descriptions. Son monde imaginaire, à la fois familier et étrange, aide à placer une ambiance triste au début, mais douce, qui provoque l'empathie. Le Carnaval des ombres est assurément un beau texte marquant.
Une lecture de Viktoriya
